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## Ce souvenir qui m'en évoque un autre
Un souvenir très précis spatial de ton quartier ou de ta maison d'enfance
Un souvenir très précis, c'est moi sur le balcon de mes parents en train de m'appuyer contre la balustrade et de regarder le vide en me demandant si je saute ou pas. Je me souviens du 30 grande rue de la Guillotière, écoutant inlassablement l'album Let's Dance de David Bowie, j'ai 7 ou 8 ans, j'adore plus particulièrement Cat People Putting On Fire, je l'écoute en regardant le ciel, je fixe un grand nuage et je m'imagine que ma vraie famille est là bas et qu'elle va venir me chercher.
Je me souviens, 8 ans plus tard, mon corps pressé contre le balcon du 1 quai Gillet, les yeux rouges de colère, me proposant à moi-même de sauter pour punir mes parents de leur mauvaise foi et de leur injustice.
Je me souviens aussi du 304 rue Garibaldi, on habite au 17e étage, en bas je vois le terrain de tennir et le revêtement qui est devant l'immeuble, des grosses dalles avec dessus des petits cailloux collés, incrustés. J'ai une vision très précise de moi tombant la tête la première. Je me pose des questions comme: est-ce que je vais crier en tombant ? au même moment à la même période de ma vie je me demande aussi: est-ce que je vais crier quand je ferais l'amour ? L'expression vocale est une question très centrale dans mes réflexions et notamment mes questionnements érotiques. Je me souviens à peu près à cette âge de m'être jurée dans mon journal qu'aucun gémissement ne sortira de ma bouche de ma vie. J'ai 13 ans, je suis en 4e, je suis follement amoureuse de mon maître de choeur qui s'appelle Robert Hillebrandt et qui a 35 ans, il habite rue du Boeuf et souvent je passe exprès devant chez lui et cette balade banale me procure une brûlure dans le ventre extrêmement forte. Je suis une stalkeuse. J'ai déjà fait ça l'année d'avant en 5e pour Kevin Bourne, l'année encore avant pour Pierre Michel. J'ai 13 ans, je porte des t shirts blanc très longs, un pantacourt vert foncé, des baskets. J'aime bien être habillée comme ça mais ça suscite des moqueries de la part des filles du collège. Je suis follement amoureuse de toutes les personnes dont les autres sont amoureux.se. J'expérimente un désir mimétique depuis plusieurs années, qui occupe par la suite la totalité de mes pensées pendant des jours et des jours. Dès que je suis un peu tranquille, je convoque des scénarios érotiques pendant des heures, me répétant inlassablement les mêmes histoires, sussotant les mêmes détails favoris. Il ne me vient jamais à l'idée de toucher mon sexe ou une quelconque partie de mon corps, de toute façon la snesation de désir est à l'intérieur de mon ventre, intouchable donc, et l'évocation cérébrale est suffisamment intense. Mon désir n'existe que pour les personnes qui sont perçues comme désirables. Sans signalisation par autrui, je retourne à des fantasmes que je construis à partir de personnages de films ou de dessins animés, des personnes grandes et minces et sans organes génitaux, aux corps imberbes, comme le héros dans le Château Ambulant, puis par la suite une personne endormie sur une photographie, un drap recouvre le bas de son corps, des corps angéliques, blonds, imberbes, complètement lisses.
Et puis ce chef de choeur autrichien, un homme ventru, vaniteux, charismatique, jouant intentionnellement ou non avec nos besoins de reconnaissances, une trentaine de filles entre 11 et 17 ans. Au même moment je suis donc sur le balcon de mes parents, les dalles sont lisses et chaudes sous mes pieds.

L'appartement du 304 rue Garibaldi est au dernier étage d'un immeuble extrêêment imposant, baptisé "Le Paquebot" par la famille Cosset-Chéneau. Quand on sort à la station Garibaldi, il est juste devant, immense et moche, recouvert d'un carrelage blanc. À droite il y a le 302, où habite Justine Catallano. Elle est Corse, son père est CRS (mon père a rigolé en apprenant ça), elle m'a baptisée "ma meilleure amie de l'immeuble" (elle a donc d'autres ami.e.s dans l'immeuble ?). On fait du modern jazz ensemble rue de Créqui. Plus tard elle ira chez les Lazaristes et moi chez les Maristes, on me rapportera qu'elle suce des bites dans les toilettes des Lazos, ça me semble étonnant, je comprends dans le ton que prenne mes interlocuteur.ice.s que c'est une conduite répréhensible, et en même temps un signe d'indépendance. Régulièrement je vais chez elle, on ne joue pas spécialement, je ne me souviens pas exactement ce qu'on fait. Sa mère est comme elle, très brune avec la peau mat, elles ont des cheveux lisses et brillants. Justine Catallano a un tic, elle fait un bruit avec son palais. Au fur et à mesure du collège, ce tic va disparaître (peut-être que les fellations dans les sanitaires ont aidé là dedans va savoir). L'appartement des Catallano est moins beau que le mien, il n'y a pas de grande terrasse. On ne se dit rien à ce propos. Depuis toujours j'ai habité dans des appartements bien plus grands que celui de mes ami.e.s. Les autres enfants se contentaient de dire que c'était beau chez moi. Ça n'allait pas plus loin. Mais je me souviens à plusieurs reprises m'être fait la réflexion que mes ami.e.s vivaient dans des endroits sombres et petits.
Entre le 302 et le 304, chaque année, il y a une gerbe de fleurs. C'est la famille de l'ouvrier qui est tombé du toit qui l'a posée là. Il est mort en ravalant la façade de l'immeuble. J'étais avec mon père dans l'appartement quand c'est arrivé. On a entendu le bruit de l'échaffaudage suspendu qui s'est déroulé d'un coup, le type était dessus et s'est écrasé 17 étages plus bas. Mon père a appelé les pompiers. La nuit j'ai dit à mes parents que je voulais dormir avec elleux parce que je faisais des cauchemars à cause de ça, mais ce n'était pas vrai, ce que je voulais surtout c'est dormir avec mes parents (je trouvais souvent des prétextes pour ça). Au 304, on habite aux deux derniers étages, le 16e et le 17e. C'est un appartement avec plein de lumière, des grandes fenêtres. Quand on y a emmenagé, il y avait du jonc de mec au sol, un truc horrible qui grattait les pieds, vestige des anciens propriétaires, et qui sentait mauvais, surtout après le jour où ma soeur a vomi dessus. Dans mon souvenir l'odeur avait subsisté pendant des mois. Ma chambre est d'abord en haut, au fond de l'appartement. À côté il y a le salon, avec un piano droit et blanc, un truc kitsch, je ne m'explique pas tellement ce choix de couleur connaissant les goûts de mes parents. Il y a la possibilité de jouer au casque, le soir j'entends donc ma mère faire du piano, mais je n'entends que le martèlement des touches. Je suis la plus grande, j'ai une chambre seule. Mon frère et ma soeur dorment dans une grande chambre en bas. J'ai une relation contrastée avec elleux. La plupart du temps je m'imagine fille unique, si possible orpheline.
# Un souvenir très précis, spatial, de ton quartier ou de ta maison d'enfance

8 min
# Un souvenir très précis, spatial, de ton quartier ou de ta maison d'enfance

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## Ce souvenir qui m'en évoque un autre
blabla

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